Une coopérative bretonne accorde le congé menstruel à ses salariées

Publié : 26 janvier 2023 à 16h02 par Dolorès CHARLES

Comme  un établi (35)
Crédit : Yann Launay

C'est une innovation sociale majeure pour les salariées concernées, la coopérative rennaise "Comme un établi" propose à son personnel féminin de prendre congé en cas de règles douloureuses. L'expérimentation est mené depuis plusieurs mois, et séduit.

Un congé menstruel pour les femmes, en cas de règles douloureuses : certains pays l'ont inscrit dans la loi, mais ce n'est pas le cas en France, où on en est au stade du débat. Pourtant quelques entreprises ont déjà intégré ce droit, très officiellement : c'est le cas par exemple de la coopérative "Comme un établi", à Rennes en Ille-et-Vilaine. Un atelier d'artisanat partagé qui emploie cinq personnes, dont trois femmes.

Pas besoin d'aller chez le médecin

Depuis novembre dernier, les salariées ont la possibilité de prendre un congé menstruel, mais comment eela fonctionne, Yann Launay s'est rendu sur place pour rencontrer Benjamin Danjou, le co-fondateur de "Comme un établi" :

"En fait, il n'y a pas besoin ni d'aller chez le médecin, ni d'un arrêt maladie, il y a juste besoin d'envoyer un mail ou de contacter les responsables la veille ou le jour même pour dire " je me sens pas capable de travailler du fait que j'ai des règles douloureuses". Soit je décide de faire du télétravail chez moi, soit je me mets en pause complètement et c'est comme un congé payé, c'est à dire que c'est rémunéré. Il y en a douze (jours) à utiliser sur l'année et au maximum deux jours à la suite. Après, on ne peut pas les reporter d'une année sur l'autre, ce ne sont pas des vacances supplémentaires. C'est un outil fait pour soulager et améliorer la qualité de vie au travail... On est une petite boite et une petite structure, c'est assez facile à tester et à mettre en place, mais ce qui est intéressant, c'est  d'en parler et de dire que les règles ce n'est pas du tout un sujet tabou."

Une idée née d'un échange en équipe

C'est "en discutant entre nous car on a pu avoir des personnes qui ont eu des règles douloureuses ici, et on a compris qu'il y avait un inconfort. Rien que le fait d'en parler cela fait avancer les choses. Quand on a les règles, ce n'est pas une maladie, c'est juste un cycle naturel chez des humains et il faut en prendre soin... En le mettant sur papier, on peut le partager avec d'autres entreprises, et s'il y a d'autres entreprises qui nous écoutent ou des gens qui sont intéressés par ce qu'on a fait, on peut diffuser le document légal qui encadre ce congé. Le but est qu'il soit expérimenté et qu'on voit comment cela peut fonctionner."

Benjamin Danjou
Crédit : Yann Launay

Une discrimination à l'embauche ?

Ce principe ne fait pas consensus en France : certains redoutent que les femmes soient discriminées à l'embauche, par des employeurs qui auraient peur de perdre 12 jours de travail par an, mais Benjamin n'y croit pas : "on peut dire qu'on a préféré un homme à une femme car elle va pouvoir utiliser son congé maternité, etc. Il y a un moment où il faut avancer. En fait, je pense que c'est un atout ! Une boîte peut aussi dire : candidatez ici, car on met en place ce congé menstruel. Il y a un attrait et c'est fini le temps où on se dit qu'il faut être parfait tout le temps ; 100 % du temps optimum au travail. Il faut accepter qu'en fait sur 35h ou 40 heures de travail ou 39 ou 55 ou 60 heures si on est cadre, il y a peut être 10 % du temps où on n'est pas au top. On n'est pas des machines, il faut l'accepter. On le note sur le papier, on l'intègre et on en discute."

Benjamin Danjou
Crédit : Yann Launay
Benjamin Danjou
Crédit : Yann Launay

"Un sentiment de soulagement"

Marguerite est l'une des salariées de la coopérative, et elle estime que ce congé menstruel est une véritable avancée : "c'est un sentiment de soulagement d'avoir la possibilité d'être entendue si jamais cela arrive, et de ne pas se rendre complètement malade parce qu'on doit à tout prix aller au travail alors qu'on ne peut pas sortir de son lit. C'est encore difficile, je pense, de ne pas voir ça comme de la faiblesse ou d'être une fainéante si on commence à se plaindre qu'on a mal ... Dans les entreprises, où j'ai travaillé avant, dans des ateliers de haute couture à Paris, on ne prend pas en compte ce genre de choses bien que ce soit des milieux très féminins, on est plutôt dans des logiques de rentabilité et d'efficacité... On vient qu'on est mal ou pas, quitte à ce qu'il y ait des filles qui finalement partent au milieu de la journée à moitié cassé-es en deux."

Marguerite
Crédit : Yann Launay

Aucune salariée n'a encore pris ce congé spécial 

Ces 12 jours n'ont pas été perçus par les salariées comme 12 jours de congé supplémentaires automatiques, la preuve : depuis novembre, aucun jour de congé menstruel n'a été pris, ni par Marguerite ni par ses deux collègues : "j'ai déjà hésité une fois, et je pense que l'on peut parfois être difficile avec soi même. On se dit, je ne suis pas encore assez mal pour le prendre... C'est aussi un travail personnel et au niveau de la société, pour qu'on se sente légitime de prendre le congé...  De toute façon, de manière générale, on va faire en sorte qu'on ait envie de venir travailler. C'est le truc de fond, on est investis. On est contents d'aller au travail, on travaille dans de bonnes conditions et on ne va pas abuser finalement de ces congés (spéciaux)."

Marguerite
Crédit : Yann Launay

En France, outre quelques entreprises (une dizaine), le Parti socialiste a mis en place un jour de congé menstruel pour les salariées de son siège national, à Ivry-sur-Seine, en région parisienne. De leur côté, les députés espagnols viennent d'adopter un projet de loi, en première lecture, en faveur d'un congé menstruel et ce serait une première, en Europe.