Saint-Malo. Une chaîne humaine pour refuser la pêche industrielle
Publié : 15 février 2024 à 22h03 par Dolorès CHARLES
Un chalutier géant que la Compagnie des pêches de Saint-Malo (35) veut exploiter pour produire du surimi, est capable de pêcher 400 tonnes de poisson par jour. Aujourd'hui (jeudi 15 février), quelque 200 personnes se sont mobilisées dans la cité, pour dénoncer cette pêche industrielle, qui impacte les écosystèmes. Réactions.
Militants écologistes, élus, pêcheurs côtiers : plus de 200 personnes ont manifesté hier (jeudi 15 février à Saint-Malo, pour dénoncer la pêche industrielle. Ils ont formé une chaîne humaine de 600m, pour matérialiser les dimensions du filet de l'Annelies Ilena, un chalutier géant que la Compagnie des pêches de Saint Malo veut exploiter pour produire du surimi. Surnommé "le navire de l'enfer" par les pêcheurs africains, ce chalutier de 145 m peut remonter 400 tonnes de poisson par jour.
La Compagnie des pêches de Saint-Malo a investi 15 millions d'euro pour en faire un navire-usine, qui pêcherait le merlan bleu et le transformerait à bord en pâte à surimi. Le navire est si grand qu'il ne peut entrer dans le port de Saint-Malo : la pâte serait débarquée aux Pays-Bas et acheminée par la route vers l'usine de Saint-Malo, qui fabrique les bâtonnets de surimi.
Un projet destructeur pour l'environnement
Nathan est pêcheur côtier en Finistère sud, son bateau fait moins de 10 m, et il se pose des questions sur la cohérence de la gestion française et européenne des pêches : "En tant que pêcheurs côtiers artisans, on nous met en place des quotas. Je prends l'exemple du maquereau parce que c'est une espèce que l'on pêche à la côte, mais que ce genre de bateaux de 145m peut aussi pêcher. Premier trimestre 2024, on a le droit à 100 kilos de maquereaux par semaine... Il me faudrait 70 ans pour faire ce que lui fait en une journée. Comment on peut nous imposer de pêcher 100 kilos de maquereau par semaine en nous disant qu'il faut prendre soin de la ressource, et laisser des bateaux pécher autant."
Considérer les espèces de poissons indépendamment les unes des autres est une erreur
Pour Laëtitia Bisiaux, de l'association Bloom, le projet de la Compagnie des Pêches sera destructeur pour l'environnement. L'organisation de producteurs Pêcheurs de Bretagne estime que ce chalutier géant ne viendra pas en concurrence avec la pêche côtière, qui ne cible pas le merlan bleu mais pour Laëtitia Bisiaux, considérer les espèces de poissons indépendamment les unes des autres est une erreur.
"Du merlan bleu sert de nourriture à d'autres prédateurs, et cela a un impact, surtout quand on prélève énormément au même endroit. Cela a un impact sur les écosystèmes et les pêcheurs côtiers, même si les pêcheurs artisanaux ne vont pas directement capturer ces espèces. Il faut avoir une vision plus globale du fonctionnement des écosystèmes. Imaginez, vous êtes suspendu à une chaîne et dessous il y a le vide. Je coupe un maillon de la chaîne, est-ce que vous pensez que vous allez tenir en l'air ? Non, et c'est la même chose pour les écosystèmes. On ne peut pas piocher dans un stock de poissons dans une population, sans atteindre les autres espèces."
"Que le consommateur ait dans son assiette du poisson (...) qui n'est pas le fruit d'une prédation écologique!"
Pour Matthias Tavel, député LFI de Saint-Nazaire, difficile d'invoquer la souveraineté alimentaire pour justifier ce type de pêche. "La souveraineté alimentaire de la France ne dépend pas de notre capacité à pêcher des centaines de tonnes de poisson pour faire du surimi. D'un point de vue alimentaire, il est préférable de le consommer sous une autre forme... Que des pêcheurs pêchent des poissons de bonne qualité, avec des techniques de pêche moins prédatrices, et que le consommateur ait dans son assiette du poisson de bonne qualité nutritionnelle et qui n'est pas le fruit d'une prédation écologique. Tout le monde y gagnera." Le surimi produit par l'Annelies Ilena sera principalement destiné à l'export, notamment vers l'Asie.
112 pages, et jamais la petite pêche côtière n'est citée
Les manifestants dénoncent aussi la feuille de route pour la pêche bretonne, qui doit être débattue ce vendredi (16 février) au Conseil régional de Bretagne. Une feuille de route accusée de faire la part trop belle à la pêche industrielle et aux techniques peu respectueuses de l'environnement.
Le Finistérien Charles Braine, président de l'association Pleine Mer, a eu le texte entre les mains, et il note l'oubli complet de la petite pêche côtière : "112 pages sur la pêche bretonne,et jamais la petite pêche côtière n'est citée et on n'a que des solutions pour maintenir à bout de souffle des segments qui malheureusement ne sont plus rentables. Ils avaient leur raison d'être après guerre, mais aujourd'hui, l'histoire va inverser les logiques. On sait que la ressource est limitée, il faut donc la pêcher la plus écologiquement possible. Il faut la valoriser et la valoriser en argent, mais aussi en emplois. Et ça tombe bien, parce que la petite pêche côtière, quand elle pêche correctement, elle va maximiser les emplois au regard d'une ressource limitée."