Présidentielle : Ouest-France renonce à publier des sondages

Publié : 26 octobre 2021 à 7h53 - Modifié : 26 octobre 2021 à 7h57 par Dolorès CHARLES

OF édito sondages
Crédit : Dolorès Charles

L'édito de François-Xaxier Lefranc sur le renoncement de Ouest-France à publier des sondages en rapport avec la présidentielle de 2022, fait couler beaucoup d'encre depuis ce week-end. La prise de position du 1er quotidien de France ne laisse pas indifférent.

"Pourquoi consulter les citoyens alors qu’il est si simple d’attendre les sondages ? Pourquoi se casser la tête à bâtir un programme politique alors que des sondages vous diront ce qu’attendent les gens ?" (*) Depuis des mois, et notamment les dernières élections marquées par une forte abstention, Ouest-France s’interroge sur le bien-fondé des sondages, et surtout sur leur utilisation. Aussi, le quotidien a décidé de renoncer à publier tout sondage sur la présidentielle de 2022, mettant en avant telle ou telle personnalité politique ou publique. Pour le rédacteur-en-chef, François-Xavier Lefranc, cette prise de position est une manière de lutter contre l’appauvrissement du débat d’idées en politique :

"Ce n'est pas les sondeurs que nous mettons en cause - les sondeurs font leur travail, ce sont des gens sérieux et ce sont des professionnels - mais c'est l'utilisation des sondages que nous condamnons. [Ce qui nous pose problème] ce sont des sondages répétés en boucle et martelés du matin au soir, qui nous imposent des candidats, et des non-candidats d'ailleurs, et qui occupent le paysage en permanence tout simplement parce qu'ils ont été attrapés par les sondages. Quand on voit que pour l'un d'entre eux il n'est toujours pas candidat, et à côté de lui, il y a des gens qui sont candidats et qui n'ont jamais la parole, ce n'est pas possible de continuer comme ça ! Cela pose un réel problème démocratique, et nous n'acceptons plus cette avalanche de sondages qui nous tombe dessus, comme si on voulait "bourrer" la tête des citoyens, c'est inacceptable !"

Le rédacteur-en-chef François-Xavier Lefranc
Crédit : Dolorès Charles

L'abstention en ligne de mire

Les sondages fragilisent la démocratie et les français ne supportent plus cette avalanche de sondages, refuser de les publier est une manière de lutter contre l’abstention : "ce qui est inquiétant, c'est qu'on donne le sentiment qu'on consulte les français avec les sondages, mais en fait on les consulte pas du tout. Donc les Français ne s'expriment pas, ne votent plus beaucoup et ils ne sont jamais réellement consultés. Ils se détachent du système politique et ensuite les choses deviennent assez terribles, car nous n'imaginons pas constuire l'avenir du pays sans les électeurs (...) Beaucoup de gens ne votent plus, parce qu'ils rejettent le système politique, et parmi les motifs du rejet il y a celui-là, c'est pas le seul, mais l'avalanche de sondages et la loi des sondages, ils ne la supporten plus !"

 

Le rédacteur-en-chef de Ouest-France, François-Xavier Lefranc
Crédit : Dolorès Charles

Cela fait débat dans d'autres rédactions

Ouest-France continuera de donner des sondages, mais pas ceux qui mettent en avant les candidats (et non candidats déclarés). Le journal le plus lu de France suivra la campagne en parlant des idées et des programmes de chacun, et en allant à la rencontre des électeurs. La prise de position de Ouest-France a recueillie de nombreux soutiens, et dans d’autres rédactions, il y a débat :

"Je sais que cela fait débat dans des rédactions, mais je respecte les diversités d'opinion. Chacun fait comme bon lui semble, mais on a pris cette décision car pour nous elle a du sens. On pense qu'il est urgent de mettre le hola, cette espèce de sondagite permanente ou de sondagite aigüe, qui nous éloigne de l'essentiel, c'est le problème !"

 

Le rédacteur-en-chef de Ouest-France, Françoix-Xavier Lefranc
Crédit : Dolorès Charles

L'édito de François-Xavier Lefranc

Pourquoi consulter les citoyens alors qu’il est si simple d’attendre les sondages ? Pourquoi se casser la tête à bâtir un programme politique alors que pour quelques milliers d’euros, des sondages vous diront ce qu’attendent les gens ? Pourquoi s’enquiquiner à débattre avec les militants politiques pour désigner un candidat alors que les sondages peuvent s’en charger ? On a tout vu ces derniers temps, des sondages mis à toutes les sauces, des personnalités politiques cherchant désespérément une légitimité dans les pourcentages des dernières études d’opinion, des sondages faisant ou défaisant le deuxième tour de l’élection présidentielle, des cadors du petit écran gonflés à l’hélium des mesures d’audiences devenir des stars politiques déjà qualifiées par les sondages avant même d’être candidats. Les sondeurs n’arriveront bientôt plus à mettre du charbon dans la machine tant elle est en surchauffe

Revenons quelques années en arrière : au début de l’année 2002, les sondages annonçaient pour le deuxième tour de l’élection présidentielle un duel serré entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. La seule question qui se posait était de savoir lequel allait arriver en tête au premier tour. Au soir du 21 avril, Jean-Marie Le Pen créait la surprise en se qualifiant et Lionel Jospin était éliminé. La leçon n’a jamais été retenue : à chaque élection, on veut connaître le résultat avant même que les Français aient voté. Cette année où l’on est allé jusqu’à imaginer convoquer les sondeurs pour désigner les candidats, on atteint des sommets.

La démocratie est fragile

Les sondeurs qui, quoi qu’en disent certains, sont des professionnels sérieux ont beau rappeler que leurs enquêtes donnent seulement une photographie à un instant précis, qu’il faut évidemment tenir compte des marges d’erreurs, qu’il ne faut pas faire dire aux sondages ce qu’ils ne disent pas, rien n’y fait. Les sondages sont pris pour argent comptant.

Ce que tout cela met en évidence, c’est l’extrême fragilité de notre système politique. Les partis sont affaiblis et n’ont plus beaucoup de militants. Les familles politiques traditionnelles semblent à court d’idées pour répondre aux défis, colossaux, d’aujourd’hui. La progression inquiétante de l’abstention témoigne de la sévérité avec laquelle la politique est jugée par les citoyens.

Le temps passé à commenter les sondages détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées, l’écoute de ce que vivent les gens au quotidien, de leurs inquiétudes, de leurs espoirs. L’obsession sondagière empêche les uns et les autres d’écouter la diversité du pays, de ses habitants, de ses territoires. Elle nous berce d’illusions et nous aveugle. Elle nous fait prendre des vessies pour des lanternes (1).

La démocratie est fragile. Sans doute avons-nous trop tendance à penser qu’elle est un acquis indéboulonnable, que même fatiguée, elle est solide et résiste au temps. La multiplication des discours populistes, haineux et extrémistes devrait pourtant nous tenir éveillés. Ce n’est pas la consultation de « panels représentatifs » qui redonnera de la vigueur à la démocratie, c’est l’écoute et la consultation de chacune et chacun. Il est urgent de rebâtir un espace politique au contact immédiat des citoyennes et des citoyens.

(1) Ce recours systématique aux sondages pour éviter de se pencher sérieusement sur les programmes des candidats (ou pour pallier l’absence de programme) nous paraissant dangereux pour la démocratie, Ouest-France ne réalisera aucun sondage sur le sujet avant l’élection.