Carburant, les pêcheurs mènent désormais la fronde

Publié : 22 mars 2022 à 7h38 - Modifié : 22 mars 2022 à 7h58 par Dolorès CHARLES

Action des pêcheurs à Lorient
Crédit : Yann Launay

Dans l'Ouest, la journée de lundi a soufflé le chaud et le froid sur le mouvement de protestation face à la hausse du prix des carburants. Reportage à Lorient aux côtés des pêcheurs et des professionnels du BTP.

Les pêcheurs sont maintenant divisés. Alors qu'une partie d'entre eux sont prêts à reprendre la mer, d'autres sont résolus à poursuivre le mouvement, pour obtenir de meilleures compensations, face à la hausse du prix du carburant. Ils jugent insuffisants les 35 centimes par litre promis par le gouvernement. A Lorient, les pêcheurs artisans bloquent toujours le port, côté terre comme côté mer : aucun camion et aucun bateau n'entre ni ne sort. Les mareyeurs se disent pénalisés, le préfet du Morbihan Joël Mathurin, appelle à la reprise des activités portuaires, mais pour David, patron d'un fileyeur, pas question de débloquer le port et de reprendre la mer :

"Jusqu'à présent on nous donne 35 centimes sur le prix du gasoil actuel, et quand on fait les calculs avec nos comptables, on ne s'y retrouve pas du tout. D'ici quelques semaines, si le gasoil réaugmente encore, les 35 centimes ce sera du vent, à quoi cela aura servi ? A rien du tout... On n'en démordra pas : on demande le gasoil à 60  centimes (le litre) et on verra bien le temps que ça dure. Il y a de plus en plus de ports qui stoppent, et ce n'est pas fini : on va mettre un gros coup de pression prochainement. A chaque fois que les pêcheurs ont été dans la rue, ils ont été entendus, on verra la suite..."

Les pêcheurs prévoient de nouvelles actions. L'idée d'une manifestation nationale, à Paris, à été lancée.

David, patron d'un fileyeur
Crédit : Yann Launay

Les engins du BTP ont quitté le dépôt de Lorient

De leur côté, les entreprises du BTP et de travaux agricoles qui bloquaient le dépôt pétrolier de Lorient ont décidé d'évacuer leurs engins par eux-mêmes, lundi soir, après une longue réunion en sous-préfecture. Le blocage était devenu largement symbolique, puisque les camions citernes empruntaient des accès sécurisés par les forces de l'ordre. Et la préfecture avait clairement indiqué que les engins de chantier qui entouraient encore le dépôt seraient rapidement déplacés, même sans les clés, en faisant appel à des mécaniciens...

Les propriétaires des engins, comme Norbert Guillou, patron d'une entreprise de travaux publics, ont préféré lever le camp plutôt que de voir leurs outils de travail malmenés. Après une semaine de blocage, ils n'auront rien obtenu, mais pour Norbert Guillou, ce n'est pas un échec :

"La bataille, on ne l'a pas gagnée, cette fois-ci... Jusqu'à présent, à chaque fois qu'on est venu, on repartait avec ce qu'on voulait, là cette fois-ci on part sans savoir ce que l'on va avoir, mais ce n'est pas un échec : si on ne l'avait pas fait, on était sûr de ne rien avoir (...) Des discussions se sont entamées à Paris vendredi dernier. Le gros souci qu'il y a eu dans cette manifestation, c'est qu'on ne s'est pas assez parlé, entre les membres du gouvernement et nous (...) J'espère qu'ils ont bien compris le message, et qu'on ne sera pas obligé de revenir, la balle est dans leur camp."

Action des pêcheurs à Lorient
Crédit : Yann Launay
Norbert Guillou, patron d'une entreprise de travaux publics
Crédit : Yann Launay

Paradoxalement, les entreprises de BTP et de travaux agricoles lèvent le camp à Lorient, comme à Brest (déblocage à midi), alors qu'ailleurs en France le mouvement s'amplifie. Norbert Guillou estime que les entreprises bretonnes ont fait leur part :

"Le problème, c'est que la Bretagne, on est toujours les premiers à démarrer... Un mouvement comme ça quand tu as fait une semaine, c'est déjà beaucoup... Il aurait fallu plus de monde, parce que tout le monde est concerné. Ici on arrête, mais si ailleurs ils montrent la même chose, c'est dommage que ce ne soit pas arrivé en même temps, mais ce n'est jamais trop tard, comme ça le gouvernement va peut-être prendre conscience qu'il y a un réel problème... Ils ne réagissent quand même pas vite. S'ils ne font rien, il y aura de la casse : des dépôts de bilan, et des suicides sûrement après..."

Les entreprises de BTP vont maintenant reprendre le travail, et attendre les conclusions du groupe de travail qui étudie leurs propositions. 

Norbert Guillou, patron d'une entreprise de travaux publics
Crédit : Yann Launay

[Communiqué des Préfectures]

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a eu des conséquences sur le coût d’achat des énergies au niveau mondial. Face à cette nouvelle crise, la France avait déjà activé des mesures de freinage pour limiter les conséquences (limitation de la hausse de l’électricité à 4 % et gel du prix du gaz). La hausse du prix du pétrole a pour conséquence l’augmentation des prix du carburant et va affecter plus particulièrement certains secteurs très exposés. Des mesures annoncées le 16 mars et visant à limiter l’impact de la hausse des prix du carburant sont donc instaurées et répondent aux revendications des filières professionnelles.

Des mesures générales ont été prises :
- Réduction de 15 centimes d’euros minimum par litre de carburant à destination de tous,
- Relèvement des plafonds des prêts garantis par l’État de 25 à 35 % du chiffre d’affaires pour les entreprises,
- Possibilité de reports de charges et cotisations fiscales pour les entreprises.
Ces mesures générales ont été accompagnées par des mesures spécifiques pour certains secteurs.

Concernant la pêche :
- les navires de pêche vont bénéficier d’une aide de 35 centimes d’euros par litre de carburant acheté entre le 17 avril et le 31 juillet 2022,
- Des aides d’urgences plafonnées à 70% des cotisations sociales patronales annuelles seront également versées dès cette semaine, (https://www.enim.eu/actualites/aide-durgence-pour-entreprises-du-secteur-peche)
- Une rencontre réunissant le Préfet, le Comité des Pêches du Finistère et les banques se tiendra mardi 22 mars.

Concernant les entreprises du transport (notamment de voyageurs) :
- Une aide de 15 centimes d’euros par litre de carburant permettra d’accompagner la hausse des carburants,
- Une enveloppe de 400 millions d’euros sous forme d’aide exceptionnelle par type de véhicule va être attribuée aux transporteurs,
- Le remboursement anticipé de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) sur l’année 2021 et un acompte de 25 % de la TICPE sur l’année 2022 remboursable au titre de l’année 2023 seront versés très prochainement.

Concernant le secteur agricole :
- Le gazole non routier (GNR) bénéficiera également d’une baisse de 15 centimes d’euros à compter du 1 avril 2022.
- Le remboursement anticipé de la TICPE sur l’année 2021 et un acompte de 25 % de la TICPE sur l’année 2022 remboursable au titre de l’année 2023 seront versés très prochainement,
- Une enveloppe de 400 millions d’euros a été attribuée pour aider les éleveurs qui subissent une forte hausse du coût de l’alimentation animale.

Concernant les entreprises du BTP :
- Une aide de 15 centimes d’euros par litre de carburant permettra d’accompagner la hausse des carburants.
Des concertations sont en cours de conclusions pour : 
- Une circulaire demandant à tous les acteurs publics de ne pas appliquer les pénalités de retard lorsque ce dernier est justifié par la prolongation d’un délai de livraison de la part d’un fournisseur à cause de la crise et d’appliquer la théorie de l’imprévision à tous les contrats qui ne prévoyaient pas explicitement une clause de révision des prix.
- La réactualisation plus rapide des index du bâtiment, qui sont actuellement publiés avec un décalage de 80 jours.

Plusieurs filières (Comité National des Pêches, Fédération Nationale des Transports Routiers, FNSEA, …) ont d’ores et déjà salué ces mesures et leur efficacité.