VENTE DU FC NANTES : Interview de Luc Dayan
Publié : 20 avril 2021 à 13h00 - Modifié : 7 octobre 2021 à 9h45 par Simon REUNGOAT
Il est le spécialiste français en matière de vente/cession/restructuration de clubs de football⬦ Luc Dayan, qui avait participé à l'achat du FC Nantes par Waldemar Kita en 2007, a répondu aux questions de Simon Reungoat pour Hit West et le podcast « Sans Contrôle ». Il décrypte les enjeux d'une vente éventuelle du FC Nantes dans les prochains mois.... Version audio intégrale à la fin de l'article !
Sur la gestion de Waldemar Kita et l’éventualité d’une vente
« On ne peut pas reprocher à Mr Kita de ne pas avoir assumé ses responsabilités financières jusqu’à maintenant. A ma connaissance, il n’est pas vendeur de ses actions. On est en France et le droit doit être respecté : tant que l’actionnaire/propriétaire du club respecte ses obligations financières, il est difficile de l’obliger à vendre ! (...)
Pour ne rien vous cacher j’ai été appelé sur la situation du club, pour savoir si je connaissais des repreneurs. Moi je suis très clair dans ces situations-là : tant qu’il n’a pas manifesté son désir de vendre, personne n’a de légitimité à se positionner. Il faut être correct, il faut prendre contact avec Mr Kita, il faut voir dans quelles conditions il est prêt à vendre. S’il dit qu’il ne veut pas vendre, bah c’est la vie… Peut-être qu’actuellement il y a des gens qui se sont rapprochés de Waldemar Kita, et qui discutent de la reprise sans que personne ne le sache. C’est tout à fait possible... ».
Sur l’attractivité du FC Nantes
« Le FC Nantes est évidemment un club attractif ! Quand vous regardez en France les clubs populaires, avec une assise régionale forte, avec une histoire, avec des infrastructures, il n’y en a pas tant que ça. Le FC Nantes fait partie des 10-12 gros clubs français, dans la même catégorie que Bordeaux ou Nice. Donc Nantes, oui, peut être attirant pour des gens qui s’intéressent à la gestion d’un club de foot ».
Sur le prix estimé du FC Nantes
« Je ne connais pas la situation financière du FC Nantes, je ne sais pas si le club est endetté, donc il est très difficile de donner des chiffres et de comparer les 10 millions éventuellement réunis par des entrepreneurs locaux avec la valeur du club. Au moment où on se parle, en France on a quand même une situation bien particulière, avec une incertitude sur les futurs contrats TV de la Ligue. Il est donc difficile de savoir ce qu’on met sur le poste « recettes TV » en budget prévisionnel. Il y a un deuxième point sensible, c’est l’impact de l’épidémie sur les comptes des clubs. On peut imaginer qu’à Nantes les recettes spectateurs budgétées ont chuté par rapport au prévisionnel.Donc peut-être que la saison en cours va amener un déficit.
Après, ce que je peux vous dire, c’est qu’un club de Ligue 1, dont le budget avoine les 50 à 70 millions d’euros en vitesse de croisière, nécessite des fonds propres autour de 20 à 40 millions d’euros. Car vous pouvez avoir des moments difficiles où il faut que vous ayez les reins solides pour financer de la trésorerie, le temps que vous fassiez vos objectifs financiers et sportifs (…) J’ai lu que le PSG était valorisé à 2,5 milliards d’euros, et moi je ne pense pas que quelqu’un va acheter le PSG à ce prix-là ! Entre les valeurs qui sont dans la presse et la réalité économique des clubs de football, il y a un énorme écart. Cet écart dépend de l’audit, de l’actif joueurs, c’est-à-dire la valeur des joueurs sous contrat, et leur valeur éventuelle de transfert, qui est toujours compliquée à estimer ».
A propos de ceux qui espèrent une descente en Ligue 2 pour favoriser une vente
« Oh, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne stratégie ! Tout dépend dans quel état financier sera le club s’il descend en Ligue 2. Et si l’actionnaire (Waldemar Kita) couvre toutes les pertes de l’année en cours, avec une baisse des recettes spectateurs liée au COVID, et des Droits TV inférieurs, puisque le budget prévoyait probablement le contrat Mediapro. La descente en Ligue 2 va aggraver la situation financière. Donc si l’actionnaire couvre, oui pourquoi pas... Mais il n’empêche que vous avez un club en Ligue 2 avec des recettes inférieures. Donc c’est peut-être plus dans une logique tactique, ou psychologique, ou politique que certains se disent qu’à ce moment-là Mr Kita pourrait lâcher le club. Lui, en même temps, il a des responsabilités en tant qu’actionnaire : il ne peut pas vendre le club à n’importe qui et n’importe comment ou dans des conditions financières qui fassent qu’il y ait un risque que les repreneurs n’aient pas les reins solides pour assumer une ou deux saison de Ligue 2. Quand j’ai vendu Lens avec le Crédit Agricole, on a demandé à l’actionnaire d’Azerbaïdjan de couvrir deux années d’exploitation, parce que le Crédit Agricole ne voulait pas être recherché en responsabilité dans l’hypothèse où l’acquéreur n’avait pas les reins solides. Donc ce n’est pas aussi simple ! (…)
Quand un club redescend en Ligue 2, vous avez une perte de chiffre d’affaire d’au moins 70%. Vous vous retrouvez dans une situation très difficile, avec des charges qui continuent à courir. Les contrats des joueurs peuvent éventuellement être diminués, vous pouvez vendre des joueurs, mais si vous êtes descendus c’est que vos joueurs ne sont pas très bons, donc leur valeur baisse. Vous avez beaucoup moins de recettes spectateurs, beaucoup moins de recettes sponsoring. Quand j’ai géré le FC Nantes au moment où il passait de Ligue 1 en Ligue 2 (en 2007), le groupe Dassaut a été obligé de vendre tous les joueurs qu’il pouvait pour remonter de l’argent et rendre le club vendable. Et il y avait quand même une perte d’exploitation prévisionnelle conséquente, que Mr Kita a intégré, d’ailleurs, dans sa proposition financière ».
Sur la crédibilité d’un actionnariat populaire dans le futur FC Nantes
« J’ai expérimenté l’actionnariat des supporters sur le redémarrage du club de Bastia, en 2017 quand la SASP a déposé le bilan. J’avais suggéré aux deux entrepreneurs qui s’étaient mobilisés pour essayer de sauver le club et de repartir en National 3 d’utiliser une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) dans laquelle l’actionnariat des « socios », qui s’étaient mobilisés pour réunir plus de 200.000 euros, a été possible. Quatre ans après, la SCIC a été créée, l’actionnariat permet aux socios d’être au Conseil d’Administration, de discuter des grandes orientations du club avec les dirigeants. Il y a également des collectivités et des sponsors au capital, donc oui ça fonctionne. En plus, la Loi a évolué et permet désormais que des clubs professionnels puissent être sous cette forme juridique (SCIC) qui permet cet actionnariat populaire. J’ai actuellement une mission, à la demande de la ville de Tours et du président du club, pour essayer de transformer le Tours FC en SCIC également. Donc, pour répondre à votre question, oui c’est envisageable ! (…) A Bastia les socios ont réuni, de mémoire, 230.000€, et cela leur a donné 20% du capital du club. Mais bon, le club était en N3, chaque cas est différent en terme de coût et d’investissement (…) Après, ce qui est le plus délicat, c’est ce qu’on appelle la « gouvernance », c’est-à-dire comment on anime cette SCIC. A Bastia cela se passe très bien, avec des réunions régulières, tous les deux mois, avec toutes les parties concernées pour partager toutes les informations récentes, les opportunités, les décisions sur les joueurs par exemple, un changement de maillot, les problématiques d’investissement etc.. Donc il faut savoir animer ça, et que toutes les familles comprennent ce qu’est la gestion d’un club de foot, son économie, et cela nécessite de la transparence effectivement, et une animation régulière ».
Sur la possibilité pour un investisseur extérieur de prendre en compte la volonté des sponsors actuels d’associer Mikaël Landreau au futur FC Nantes ?
« Cela dépendra de l’investisseur et de la façon dont il va appréhender le dossier nantais. Il est sûr qu’il est mieux de s’entourer de gens qui connaissent le club. Après, parfois c’est un inconvénient, car à l’intérieur (d'un club) il peut y avoir des rivalités anciennes. Et quand des gens arrivent de l’extérieur ils ne sont pas prisonniers de ces inimitiés ».
Sur le type de repreneur pour Nantes et la crainte de voir débarquer un fond de pension ou un actionnaire exotique
« Entre les différents fonds de pension et actionnaires venus du Golfe, il y a de tout. Moi je trouve que c’est bien qu’un club soit rentable, ça veut dire qu’il est solide et qu’il est bien géré. Peu importe que l’actionnaire soit un fonds de pension, un Etat du Golfe, un entrepreneur français ou même une association de supporters. Ce n’est pas ça le sujet. Je pense que c’est sain, surtout, d’avoir une bonne gestion. Après, quel type d’actionnaire peut s’intéresser à un club comme Nantes ? Je ne sais pas trop, à cause des incertitudes qui pèsent sur l’ensemble du football français. Tant qu’on ne connait pas les contrats TV, c’est un peu compliqué pour les acteurs extérieurs. Les expériences récentes n’ont pas été terribles, à l’image de Bordeaux, propriété d’un fond d’investissement américain et qui est en difficulté. Il ne faut pas avoir d’a priori sur la nature d’un éventuel repreneur. Ce qui compte c’est sa capacité à comprendre l’environnement, à connaître le football, à s’intégrer dans cet environnement. Quand j’étais actionnaire à Lille il y a 20 ans, je n’étais pas Lillois, mais j’ai essayé de comprendre la mentalité lilloise, l’Histoire du club, pour faire en sorte que le club renaisse, en conformité avec les attentes des supporters et des partenaires. Donc c’est plus sur la méthode que sur la nature de l’actionnariat qu’il faut être attentif. C’est sûr que si vous avez des actionnaires du crû, ils connaissent mieux le club, son histoire, son style de jeu ou les médias environnants que des gens qui viennent de l’extérieur. Mais ce n’est pas un critère de réussite absolue ! ».
Sur la lenteur d’un processus de vente
« Oui, c’est long. Après je ne sais pas du tout ce qui se passe dans la coulisse. Peut-être que des discussions ont commencé entre Mr Kita et des éventuels groupes ou personnes intéressées ! Mais spécifiquement sur Nantes, c’est vraiment compliqué : il y a une incertitude sur les Droits TV, sur le COVID et sur l’issue sportive de la saison. Cela fait trois paramètres qui font que le processus peut être long. Par expérience, ce ne sont pas des dossiers qui vont vite. Alors, on peut faire une cession de titres très rapide : mais parfois ça se passe mal comme à Strasbourg, où je suis intervenu car les acquéreurs n’avaient pas fait d’audit, et le club a déposé le bilan un an après... A Nantes c’est prématuré de dire à quelle vitesse une éventuelle vente pourrait se faire ».