L'essor des livraisons de repas en scooter dérange les riverains

Publié : 8 mars 2021 à 9h28 - Modifié : 7 octobre 2021 à 9h45 par Dolorès CHARLES

HIT WEST
Crédit : Cédric Mané (Hit West)

Qui dit confinement ou couvre-feu dit développement des livraisons de repas en vélo, mais aujourd'hui c'est le scooter qui prime ! Plus rapide et plus rentable. A Nantes, ils seraient 500 à arpenter la cité midi et soir, ce qui provoque quelques nuisances en ville. Un collectif "Ras le scoot s'est créé". Le reportage de Cédric Mané.

Corinne avait ses habitudes dans un restaurant indien situé sur le Cour des 50-Otages, à Nantes. Un jour, elle a quitté la terrasse en se promettant de ne pas y revenir. La raison: elle s'est fait "pourrir" son repas par le bruit de la circulation des livreurs à scooter. Ils seraient 500 à arpenter la ville de Nantes chaque jour, midi et soir. Le travail de ces "forçats de la croûte", comme les a baptisés le journal Ouest-France : livrer, à domicile ou dans des bureaux, les repas commandés aux restaurants via les plateformes de livraison au nom désormais familier (Uber - Deliveroo, etc. Quand ces nouveaux métiers sont apparus dans le paysage urbain, ces livraisons se faisaient à vélo, jusqu'à ce que le scooter s'impose comme moyen de transport plus rapide et plus rentable, pour exercer ces métiers ultra précaires et en général occupés par des migrants africains qui n'ont bien souvent pas accès à d'autres emplois...

La naissance de "Ras le Scoot"

Mais voilà, le bruit et les problèmes de circulation, ponctués de quelques accidents, dans les rues du centre-ville de Nantes ont fini par froisser des riverains désormais rassemblés au sein d'un groupe au nom qui résume son ambition, "Ras le Scoot". Corinne représente ce collectif, qui a effectué des comptages de livreurs. Verdict : 17 livreurs à vélo et 59 à scooter en une heure de pointe, sur un lieu passager :

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"C'est devenu infernal, ces véhicules circulent allègrement dans le centre-ville, et le problème c'est le bruit aux heures de repas non-stop pendant deux heures et demie (bruit de scooter qui passe) un exemple parfait ! Là, c'est un scooter, imaginez quand ils sont cinq, dix, vingt, voire soixante en une heure... Donc les livreurs vont être obligés de revenir à une livraison à vélo, et non plus à scooter, sans bruit, en repassant à la situation initiale, c'est-à-dire en revenant au vélo".

"Esclavage humain"

Que pense "Ras le Scoot" du système de livraison en place ? Le discours se veut sans ambiguïté: les plateformes telles qu'elles fonctionnent c'est non, mais pas de problème avec le travail des livreurs :

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"Le collectif "Ras le Scoot" n'est pas opposé à ce système de livraison, mais il est favorable à une livraison qui ne mette en danger personne d'une part, et qui ne nuise pas aux riverains d'autre part. Il demande que les auto-entrepreneurs soient aussi salariés des plateformes... parce que pour le moment c'est de l'esclavage humain".

"Ras le Scoot" veut moins de vitesse et de bruit. Les habitants dénoncent depuis longtemps également les camions de ramassage des poubelles à 6 heures du matin, la circulation automobile en général, et bien sûr les terrasses de bars. Les scooters s'ajoutent à ce flot de nuisances :

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"En ville du bruit, il y en a tout le temps, parce qu'une ville ça vit. Mais ça se mesure, et ce n'est pas le même nombre de décibels et surtout c'est un bruit qui arrive vite et repart vite, ce n'est pas un bruit sourd qui peut rester longtemps et auquel, à force, on peut s'habituer. Et puis surtout, il y a d'autres manières de faire en sorte que la ville vive, sans bruit, en repassant à l'initial, c'est-à-dire en revenant au vélo".

Résultat, la ville de Nantes interdit à compter de ce lundi 8 mars les scooters (hors électriques) des livreurs dans le centre-ville piétonnier de 11h30 à 6h du matin !

"Impossible de (re)passer au vélo" pour Théo

Parmi les livreurs qui arpentent Nantes et les communes limitrophes, il y a Théo qui a choisi le scooter pour travailler. Changer son scooter contre un vélo ? Impossible selon lui.

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"Non ce n'est pas possible, ce n'est pas assez payé... On fait en scooter, voilà après on se prend beaucoup d'amendes, la police nous fait chier. On n'a pas le choix, il faut qu'il trouve des solutions eux aussi ! 135 euros et des points en moins, c'est du foutage de gueule un petit peu... Vous allez où dans l'agglo ? Un peu partout Bouguenais, Saint-Sébastien, Vertou... A vélo c'est impossible, quelqu'un qui prend une commande par exemple à Commerce et qui va à Saint-Sébastien sur Loire, il va mettre une heure à vélo, avec Deliveroo il va être payé sept euros, donc c'est dégueulasse... Mais nous on n'a pas le choix, la plupart des restaurants sont ici, en zone piétonne, donc on ne va pas descendre de nos scooters et après y aller à pied..."

Théo a fait les calculs: les revenus doublent en livrant à scooter, malgré les amendes et les pannes. Bien sûr, il y a des livreurs à vélo très efficaces, mais ce sont des passionnés de la Petite Reine, ce que ne sont pas forcément les livreurs pour qui c'est d'abord un travail et pas un plaisir.

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"On ferait quoi ? vingt euros en travaillant toute la journée, facile dix heures. Ceux qui sont à vélo, ils sont courageux ! A scooter, on fait le triple des mecs à vélo et il y a des bonus aussi : pour ceux qui sont à vélo, ce n'est pas possible pour eux... Voilà ça permet d'être beaucoup plus rapide que ceux qui sont à vélo qui font allez dix ou douze courses, alors que nous on peut en faire 25 en scooter".

Les arguments avancés par les livreurs rencontrés au hasard des rues piétonnes se croisent : distance trop importante, risque de vol de vélos qui sont plus difficiles à sécuriser qu'un scooter. Certains cependant sont prêts à passer au vélo électrique. Et puis il y a les ironiques, qui soulignent que les râleurs sont aussi ceux qui passent commande sur les plateformes de livraison ...

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"Kamel : "Pour moi c'est mieux à scooter, parce que certaines distances sont importantes, huit - neuf ou dix kilomètres. Chaque commande ne peut pas être faite avec le vélo". Abdou: "Si c'est une commande en centre-ville, c'est mieux à vélo, mais si il faut aller aux portes de Basse-Goulaine ou Orvault à vélo c'est mieux". Ibrahim: "Moi j'ai commencé à vélo, mais ça n'a pas marché". Camara: "C'est un peu compliqué, on est obligé de se garer trop loin, et on peut se faire voler notre vélo". Azziz: "Moi je pense qu'à vélo c'est mieux, et s'il y a une loi je le ferai. Mohamed: "Il y a des gens qui réclament (se plaignent) d'avoir trop de bruit, et ce sont les mêmes qui commandent".

Un reportage de Cédric Mané