Mayenne. La page Facebook d'Elodie ou le miroir inquiétant de la société française

Publié : 3 avril 2024 à 14h45 - Modifié : 3 avril 2024 à 22h24 par Dolorès CHARLES

Elodie Goupil
Elodie Goupil
Crédit : Jules Housseau

Si initialement, la page Facebook de la mayennaise Elodie Goupil "Je ne jette pas, je donne ou troc" visait à dynamiser l'entraide entre particuliers, elle est devenue au fil des mois et des périodes inflationnistes, une page où l'on vient chercher des produits alimentaires.

"Je ne jette pas je donne ou troc" (*) : ce qui n'était au lancement qu'une simple page Facebook pour des échanges de bons procédés entre particuliers en Mayenne (et départements limitrophes) est devenu, quatre ans plus tard, une bouée de sauvetage pour les utilisateurs, et ils sont plus de 11 000 aujourd’hui. Plus de 90% des annonces postées concernent de l'alimentaire.

Un phénomène inquiétant

Ici, on troque un petit meuble contre du lait infantile, des vêtements contre des boîtes de conserve, du maquillage contre des pâtes alimentaires ou de la farine, etc. De quoi inquiéter sérieusement Elodie Goupil qui, avec une amie, administre bénévolement cette page. "A la base ce n'était pas le but, je l'ai vu comme une occupation, mais c'est parti tout doucement et on est arrivé sur un truc énorme ! En fait, c'est plus inquiétant qu'autre chose (...) car c'est une solution "de dépannage" mais à un moment les gens n'auront pas toujours des trucs à troquer, et je ne sais pas comment cela va évoluer mais une fois qu'il n'y a plus rien à la maison, ils font quoi, ils ne mangent plus ? "

Elodie Goupil
Crédit : Jules Housseau

Les augmentations "amènent du monde"

Les demandes explosent à mesure que l'inflation grimpe ou que les prestations sociales sont rabotées, comme le constate Elodie Goupil. "A chaque fois qu'il y a une aide qui baisse ou que le gazole augmente, la nourriture ou l'électricité, etc. On le sent passer comme tout le monde d'ailleurs, mais nous on le sent passer par les chiffres et les annonces qui arrivent. Cela fonctionne par paliers d'augmentation ou de diminutions d'aides, il y a plus d'annonces ou de demandes d'adhérents, ou les deux. Cela ramène du monde... Franchement, je flippe parce que je me dis "si c'est comme Coluche qui disait cela va être quelques temps" mais vu comment ça monte, je me dis qu'on va rester là dessus un bon moment ... Je ne sais même pas si on fermera un jour."

Page Facebook Elodie Goupil
Elodie Goupil
Crédit : Jules Housseau

"Vous avez des gens qui bossent mais qui n'arrivent pas à manger..."

Les demandes viennent de tous les milieux avance Elodie Goupil, qui regarde les profils. "Il y a des aides-soignantes, des retraités, des personnes handicapées, vous avez des gens qui bossent mais qui n'arrivent pas à manger... Vous bossez à deux et vous ne vous nourrissez même pas ou vous ne pouvez pas nourrir votre enfant car vous demandez une boîte de lait ? Il y en a qui osent le faire, ils ne se posent pas de questions par contre pour d'autres, ce n'est pas facile... Les plus timides postent en anonyme, car ils gardent encore un peu de fierté..."

Elodie Goupil
Crédit : Jules Housseau

"Je gagne trop cher pour avoir accès aux Restos du cœur - ça se joue à quelques euros"

Parmi les utilisatrices, Jules Housseau a rencontré Mélanie, 33 ans, maman d'une petite fille de 5 ans, et en CDI. Mélanie connaît des fins de mois difficile, et vient chercher ce dont elle a besoin sur la page d'Elodie. "La personne récupère quelque chose qui l'intéresse et moi quelque chose qui va m'aider dans la vie. Je veux être sûre de ne rien manquer pour ma petite fille, vu que je suis toute seule avec elle."

Mélanie souhaite "qu'elle ait toujours du lait, des gâteaux, des pâtes ... à manger mais il faut sauter le cap ! Pour moi, ce n'est pas une honte, la fierté en prend un coup, mais il n'y a pas le choix. Si le gouvernement ne fait rien, on va tous y passer un moment ou un autre. Je travaille quand même 40 heures par semaine. Ce n'est pas normal de devoir être aussi serrée. Je suis payée juste un peu au dessus du SMIC. Je gagne trop cher pour avoir accès aux Restos du cœur - ça se joue à quelques euros."

Mélanie
Crédit : Jules Housseau

Face à l'ampleur du phénomène, layennaise Elodie Goupil, la créatrice de la page, aimerait un peu d'aide pour filtrer les annonces, gérer les inscriptions, ce qu'elle fait chaque jour, bénévolement. N'hésitez pas à lui venir en aide !

(*) "Je ne jette pas, je donne ou troque