Les soignants usés face aux difficultés récurrentes de l'Hôpital public

Publié : 11 janvier 2022 à 9h26 - Modifié : 11 janvier 2022 à 12h56 par Dolorès CHARLES

Hôpital du Scorff
Crédit : Yann Launay

Une minute de silence pour alerter sur la mort annoncée de l'hôpital public : l'initiative a été lancée il y a quelques semaines en Alsace, et le mouvement prend de l'ampleur dans l'Ouest. Reportage à Lorient.

Cette minute de silence est observée dans un nombre croissant d'hôpitaux, dans l'Ouest comme dans toute la France. C'était le cas par exemple vendredi dernier à Lorient, devant l'entrée de l'hôpital du Scorff. Les soignants insistent : la pandémie n'est pas l'explication de ce mouvement, comme elle n'est pas à l'origine des difficultés de l'hôpital public, beaucoup plus ancienne. La pandémie a plutôt été le révélateur de ces difficultés et a mis les soignants dans un état d'épuisement, qui les pousse à se poser des questions sur leur avenir professionnel.

Annaïg, infirmière à l'hôpital du Scorff : "On nous a demandé, nous soignants, d'être au front au boulot, d'être au front aussi pour gérer nos enfants, pendant cette pandémie. A un moment on se dit : est-ce que ça vaut le coup ? Quand on revient sur un hôpital, on redescend au premier échelon, une infirmière qui a 10 ans d'ancienneté... C'est ce qui m'est arrivé... Quand on arrive et qu'on est recruté en CDD et qu'on nous dit qu'on aura 1350 euros à la fin du mois. J'attends de voir la suite, mais pour la première fois de ma carrière, je me dis que je vais peut-être me réorienter.

Annaïg, infirmière à l'hôpital du Scorff
Crédit : Yann Launay

On a eu quelques miettes...

Pour Annaïg, ce ne sont pas les quelques euros obtenus avec le Ségur de la santé qui changent la donne : "ce n'est pas une transformation profonde, le Ségur. On n'a pas une revalorisation de base, on a toujours les indices de salaire qui sont gelés. Et la reconnaissance n'est pas que financière, elle est aussi morale, c'est aussi avoir les moyens pour faire les choses au quotidien. On aime ce que l'on fait, on n'aime pas la façon dont on nous demande de le faire... en étant toujours en train de batailler, pour du matériel et trouver des lits : on ferme des lits encore, maintenant... On en a besoin, on n'arrive pas à accueillir nos patients."



Hôpital du Scorff
Crédit : Yann Launay
Annaïg, infirmière à l'hôpital du Scorff
Crédit : Yann Launay

"J'ai des collègues qui se mettent à pleurer"

Michel est aide-soignant aux urgences de l'hôpital de Lorient depuis 20 ans. C'est la relation avec les patients, la reconnaissance de certains d'entre-eux qui le motivent encore : "On adore soigner les gens, on a des retours incroyables quand on offre un soin de qualité... Ça nous nourrit, ça nous permet de continuer à avancer. La problématique, c'est le soin en France, c'est les fausses promesses, les désillusions, cette sensation de ne plus être capable de travailler correctement. J'ai des collègues qui se mettent à pleurer, on sent qu'il y a une grosse souffrance, mais on ne veut pas l'exprimer, on veut tenir, on aime ce qu'on fait..."

Michel aide-soignant
Crédit : Yann Launay

Ils sont en train de tuer la Sécurité sociale

Michel ne cache pas son amertume et sa révolte devant les promesses non tenues,e t devant une situation qui ne s'améliore pas : "hier matin, il y avait 30 personnes aux urgences et beaucoup de personnes âgées. Ce sont des personnes qu'on fait souffrir en les mettant sur des brancards 20 à 30 heures... A partir de deux boxes on a fait un box commun, pour 6 personnes... Des personnes âgées se déshabillent dans les couloirs, et sont mis hommes et femmes dans la même pièce... Ils sont en train de tuer la Sécurité sociale, pour moi c'est maintenant une évidence : ce sont des plans qui sont mis en place de longue date, et aujourd'hui on en voit le résultat... Comment voulez-vous que les gens n'arrivent pas à bout de leurs capacités... Personnellement je pense que je suis aussi en burnout. C'est à la population de se battre maintenant pour son hôpital public, pour ses enfants,pour ses personnes âgées... C'est vraiment le message que je veux faire passer : on se sent bien seuls."

Michel, aide-soignant
Crédit : Yann Launay

De nouveaux rassemblements sont prévus demainn mercredi (12 janvier) devant plusieurs hôpitaux de l'Ouest. A 10h à Laval devant le service des urgences de l'hôpital. A 13h30 devant l'hôpital de Vitré, où les urgences sont fermées la nuit depuis an, par manque de personnel. A Rennes, toujours ce mercredi après-midi, à partir de 16h, les soignants présenteront leurs voeux 2022 pour l'hôpital autour d'une galette des rois, devant les urgences du CHU Pontchaillou. A noter que le député France insoumise François Ruffin a prévu de participer à ces trois rassemblements.