L'auteure Neige Sinno était hier à Ploërmel, pour rencontrer ses fans
Publié : 16 novembre 2023 à 17h57 par Dolorès CHARLES
Elle vient de recevoir le prestigieux prix Femina pour son livre qui évoque l'inceste dont elle a été victime : Neige Sinno était à Ploërmel, hier (mercredi) soir, pour rencontrer ses lecteurs. Un moment épique pour la librairie locale.
La librairie "La Canopée" de Ploërmel, dans le Morbihan, n'a pas été assez grande pour contenir la centaine de personnes venue rencontrer l'autrice. Une rencontre particulière car c'est dans un lycée de Ploërmel, que la direction a décidé de retirer du CDI le livre de Neige Sinno. La direction du lycée privé La Mennais estime que des pages de "Triste Tigre" sont "d'une grande violence et ne sont pas à la portée de jeunes en construction". Le livre est pourtant sur la liste du Goncourt des lycéens...
Beaucoup de monde en soutien
Lors de la soirée, des lecteurs jeunes et moins jeunes ont pu échanger avec l'auteure et beaucoup lui ont témoigné soutien, admiration et reconnaissance. Un moment "émouvant" pour Neige Sinno, interrogée à l'issue de la rencontre par Yann Launay. "Il y avait d'autant plus de lecteurs qui sont venus parce que je pense qu'ils étaient solidaires de leur libraire, de ma démarche. Ils ont été choqués par une interdiction, qui vient se rajouter à un silence qui existe déjà autour des violences sexuelles faites aux enfants, et autour d'une difficulté qu'il y a à parler de ces sujets. C'était émouvant qu'il y ait autant de personnes, qui soient venues soutenir mon livre, ma démarche, leur libraire et les profs du lycée qui se révoltent contre une décision injuste."
"C'est une affaire qui a fait grand bruit au lycée et cela nous a donné envie de le lire !"
Des jeunes du lycée La Mennais étaient présents, pour rencontrer Neige Sinno. Parmi eux : Youenn, 16 ans, élève de terminale, venu avec sa mère Maëla.
Pour Youenn : "c'est une affaire qui a fait grand bruit au lycée et nous, ça nous a donné envie de le lire, et cela a créé une grande cohésion entre les élèves. On n'a pas compris pourquoi cela avait été interdit, les littéraires comme non littéraires... Pour qu'un livre me captive autant, il faut le faire, mais justement, c'est dû à cette écriture crue, qui ça reflète la réalité...
Maëla : Je pense qu'en terminale, ils sont aptes à lire ce genre d'ouvrages, ils sont capables de se faire un jugement, c'est la réalité des choses et il ne faut surtout pas la cacher aux adolescents. Cela peut permettre de savoir et comprendre ce que vivent les enfants dans cette situation."
"C'est l'inceste qui est choquant", pas le livre !
Des enseignants du lycée La Mennais ont tenu à participer à la rencontre, et à témoigner leur soutien à Neige Sinno. C'est le cas d'Olivier professeur d'histoire, et opposé à la décision de sa direction : "après avoir lu le livre, j'ai encore moins compris cette interdiction parce que c'est un livre qui est beau... C'est un beau livre, un livre intelligent, qui a différents degrés de lecture et de compréhension. C'est une œuvre littéraire. On ne reçoit pas le prix Fémina comme ça. J'en veux un peu à certaines personnes de ne pas avoir compris ce livre, et de ne pas avoir fait confiance à des professeurs de lettres, qui étaient sûrement en capacité d'accompagner des élèves dans une lecture.
Ce qui est choquant, c'est l'inceste ce n'est pas l'oeuvre - c'est le silence qui est choquant, le silence assourdissant autour de l'inceste. En fait, il ne faut pas se cacher derrière une fausse pudeur ou je ne sais pas des tabous qui finalement font le jeu du silence..."
Des victimes d'inceste dans le public
Neige Sinno a expliqué qu'elle ne pouvait évoquer l'inceste sans décrire les choses avec une certaine crudité, pour ne pas tomber dans l'abstraction. Pour l'autreure, il faut pousser la société à affronter cette réalité, et libérer la parole des victimes : "quand je sors d'une séance de signature, je suis toujours un peu émue parce que ... beaucoup de personnes viennent me raconter qu'elles sont des survivantes de l'inceste et me remercient pour le livre. Je retiens la joie d'être félicitée pour un livre important, la fierté que j'ai d'avoir des jeunes gens, des lycéens qui me disent "J'ai lu votre livre jusqu'au bout et je l'ai lu vite"... et les personnes qui viennent faire cet effort très grand sur elles-mêmes pour me dire "Moi aussi j'ai été victime", c'est ce que je retiens."
"Triste Tigre", édité par P.O.L, a reçu le prix Femina, le prix littéraire du Monde et le prix Les Inrockuptibles. Il est en lice pour le Goncourt des lycéens, qui sera décerné à Rennes le 23 novembre.