Emeutes urbaines : témoignages du quotidien dans les quartiers de Nantes

Publié : 10 juillet 2023 à 15h19 - Modifié : 10 juillet 2023 à 15h33 par Simon REUNGOAT

nantes aérien

Nous avons tendu le micro Hit West à des acteurs du quotidien dans les quartiers populaires de Nantes

Quelques jours après les émeutes urbaines déclenchées par la mort du jeune Nahël, tué par un policier, nous avons demandé à nos interlocuteurs de raconter ce qu’ils vivent dans les quartiers populaires de Nantes, pour mieux comprendre la colère et la violence qui s'est exprimée. Anaïs enseigne depuis 6 ans en zone « rep + », dans une école primaire publique du Breil à Nantes, le quartier le plus pauvre du département de Loire-Atlantique :

 

"On a beaucoup de familles qui vivent dans des logements exigus, insalubres. Et quand je parle d'insalubrité, j'ai vu les photos et les vidéos. Les familles me les ont montré. On le sent aussi sur l'odeur de certains vêtements d'enfants. Ça sent le moisi parce qu'en fait, les murs sont tapissés de moisissures noires. On parle de cette difficulté là à se loger. L'accès au travail, qui n'est pas toujours évident avec des horaires pas possibles, ça a un impact évidemment sur les familles et sur les enfants. On est à un point où il y a des enfants qui vont même pas demander (d'argent) à leurs parents. En fait, ils n'ont même pas montré le mot qui dit qu'il y a "sortie scolaire et qu'on est vraiment désolé mais il faudrait payer 1€". Tout le reste ils vont pas le dire, ils vont essayer de gratter des centimes par ci par là jusqu'à réunir la somme. En fait on parle de ça, ils en ont extrêmement conscience et en plus ils le portent. Je pense que ça aussi, c'est une violence. Je pense que c'est une raison de la colère qui s'exprime aujourd'hui. C'est des gens qui se révoltent".

 

 

Anais pauvrete

L'enseignante se souvient que son école primaire publique du Breil à Nantes se trouve dans un quartier populaire qui a vécu un drame en 2018 :

 

"Au Breil en 2018, un jeune homme est mort, abattu par la police devant des enfants de l'école. C'était en plein après-midi. On normalise tout ça quand c'est banal qu'un homme "racisé" meurt dans un quartier populaire, et est là aussi la révolte principale. Effectivement, il y a aussi d'autres choses qui vont avec le fait d'habiter dans un quartier pauvre. Le fait d'avoir un moindre accès au travail et d'avoir un moindre accès aux services publics. Les riches ne viennent pas habiter dans un quartier populaire et à Nantes, c'est hyper visible. Moi, je travaille dans une école qui est face au bar et aux tours. De l'autre côté, ce ne sont que des petites maisons individuelles avec des petits jardinets, et aucune famille n'envoit ses enfants dans notre école. Aucune ! Tous vont dans le privé. C'est une forme de séparatisme de la part des familles riches. Et les pouvoirs publics, que ce soit localement ou nationalement, ont du mal à s'emparer de cette question-là !".

 

 

Anaïs constate également dans le quotidien avec ses élèves les discriminations auxquels ils doivent face face régulièrement :

 

"Un enfant, même très jeune, est bien capable de voir qu'il y a des choses qui sont normales, pas normales ou étranges, pas étranges. J'ai fait des sorties scolaires mélangées avec d'autres écoles, notamment du centre ville. C'est arrivé à plusieurs reprises, pendant plusieurs années, où mes classes se sont rendu compte que "c'était marrant sur scène là, c'était une classe où il n'y avait que des blancs !" C'est une première perception. En fait, on n'est pas tous mélangés. Il y a quelque chose. Et les enfants, ils voient leurs parents travailler durement dans des conditions difficiles. On peut les controler plus d'autres, on peut les humilier, on peut les casser au travail. En fait, il y a un rapport au corps qui n'est pas le même selon le degré de privilège ou de non privilège qu'on a en fait. Et il faut qu'on ait le courage de nommer le racisme quand il y en a. Mais on ne va pas faire semblant que tout va bien, en fait. On ne va pas mentir aux enfants, ils ne sont pas imperméables au monde qui les entoure".

Anais discrimination
Anais separatisme

Hafid Benjerrai est un ancien bénévole du club de foot de Bellevue, qui s’était impliqué dans le « collectif du 30 novembre » après les émeutes de 2005 à Nantes. Pour lui, pauvreté et l’isolement expliquent beaucoup de choses :

 

"On a beaucoup parlé des parents qui n'éduquent pas leurs enfants. Je suis d'accord. Mais quand vous avez des parents qui sont happés par l'urgence économique, tout est devenu très cher, quasi inaccessible. On a vu dans les émeutes, là, des gens qui ont profité de la casse pour aller voler du thon, voler des céréales, prendre le mascarpone pour les tiramisus. J'ai rigolé, mais oui, on en est là, on a volé de la bouffe ! Donc il faut aussi essayer de comprendre ce qui se passe. Surtout des familles monoparentales. Une maman qui bosse, comment on fait avant d'envoyer des flics, pour l'aider ? Il faut envoyer des profs, des éducateurs, il faut les prendre tout petits. Vous avez besoin d'aide, vous avez des enfants ? On vous propose une aide tant qu'on peut en faire quelque chose, en faire des gens bien éduqués pour plus tard, il ne faut pas hésiter. Et ce que je dis là c'est valable aussi pour les ruraux, parce qu'ils ont aussi des problèmes. Alors ils ne sont peut être pas concernés par ce qui s'est passé dans les villes françaises ces derniers temps, mais ils en ont pris plein la poire il y a quatre ou cinq ans, quand ils manifestaient en gilet jaune. C'est un cancer en train de se généraliser, c'est toute la France !"

Hafid pauvreté

L'ancien bénévole évoque également communauté musulmane sans cesse montrée du doigt :

 

"D'un point de vue infrastructures, service public comme les maisons de l'emploi, il y a beaucoup de choses de faites. Ça, on ne peut pas le nier. Maintenant, le problème perdure. Tout ça, en fait c'est du cosmétique. Il faut avant toute chose restaurer la dignité. Commencer par arrêter de les appeler "gens de banlieue" comme si c'était des pièces rapportées. Ils sont tous nés ici. Ils sont tous français. Arrêtez de faire des passerelles entre le terrorisme et leur appartenance ethnique ou religieuse. Moi, à mon avis, ce qui a explosé cette semaine, c'est un cocktail de tout ça. Une semaine avant, on parlait du port du hijab dans les terrains de football. Mais qu'est ce qu'on en a foutre ? On ne parle que de ça depuis depuis plus de 20 ans. Les islamistes, maintenant c'est l'islam, donc c'est vraiment une appartenance religieuse. On dirait ça sur d'autres communautés, ça ne se passerait pas comme ça. Là, ça serait procès sur procès. C'est une question de dignité. Il faut arrêter".

 

Hafid islam