Conseil Constitutionnel. Les Sages vont-ils battre en retraite ?
Publié : 14 avril 2023 à 8h43 - Modifié : 14 avril 2023 à 8h50 par Dolorès CHARLES
Jamais une décision du Conseil constitutionnel n'aura été aussi attendue. Ce vendredi soir, les neuf Sages rendront leur décision sur la réforme des retraites décriée dans la rue depuis trois mois. Trois possibilités : la censure totale, la censure partielle ou la validation du texte. Les explications de Marion Del Sol, professeur de droit à l'Université de Rennes 1, avec Yann Launay.
C'est ce vendredi, en fin d'après-midi, que le Conseil constitutionnel rendra sa décision : les neuf Sages qui le composent doivent déterminer si la réforme des retraites est conforme à la Constitution. L'enjeu est avant tout de déterminer si la procédure accélérée, choisie par le gouvernement, est bien adaptée à une telle réforme. Les Sages doivent dire si le gouvernement pouvait réellement utiliser le cadre d'une loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale.
1er écueil : le budget de la Sécurité Sociale
Les explications de Marion Del Sol, professeur de droit à l'Université de Rennes 1, interrogé par Yann Launay : "C'est un type de loi qui permet de mobiliser cet article 49.3, dans la mesure où finalement normalement ce type de loi, c'est parce qu'il faut assurer la continuité du budget de la Sécurité sociale pour une année donnée. En ce sens, cela paraît difficile de considérer que la loi telle qu'elle a été adoptée est simplement une loi qui vise à assurer un équilibre financier pour l'année 2023. Elle intéresse des principes fondamentaux de la sécurité sociale et, normalement, les principes fondamentaux de la Sécurité sociale, si on entend les modifier par une loi, cela doit se faire par une loi classique."
2ème écueil : les mesures ajoutées comme l'index senior
Présidé par l'ancien premier ministre (PS) Laurent Fabius, le Conseil peut censurer la réforme dans son intégralité, ou bien, et c'est plus probable, le censurer partiellement, en visant les "cavaliers sociaux", les éléments qui n'auraient rien à faire dans le texte, comme l'explique Marion Del Sol : "Toutes les mesures qui ont été ajoutées, telles que les mesures sur le financement en matière d'usure professionnelle, l'index senior ou le CDI defin de carrière ne relèvent pas de l'objet même d'une loi de financement rectificative de la Sécurité Sociale, puisqu'on n'est pas sur des questions qui intéressent l'équilibre de la Sécurité Sociale...
Le Conseil Constitutionnel pourrait dire ces dispositions là sont "hors jeu" non pas sur le fond, l'intérêt qu'elles peuvent avoir, mais parce qu'elles ne sont pas dans le bon vecteur législatif. Le Conseil constitutionnel pourrait invalider certaines dispositions, et la loi serait validée en partie."
3ème écueil : l'institution reste un organe politique
Le Conseil constitutionnel pourrait censurer partiellement le texte, mais pour Marion Del Sol, il y a peu de chance de voir les Sages invalider le texte tout entier, et affaiblir le gouvernement. Le Conseil constitutionnel reste un organe largement politique, et pas seulement technique : "c'est une institution très particulière. Vous avez des membres qui ont été nommés par le président de la République, des membres qui ont été nommés par le président du Sénat et des membres nommés par le président de l'Assemblée nationale. Vous avez des hommes (et des femmes) politiques qui ne sont pas tous, loin s'en faut, des juristes, et a fortiori des constitutionnalistes spécialistes de droit constitutionnel. D'une certaine façon, si c'était purement technique et juridique, je pense qu'il y aurait matière à censure totale, mais je ne suis pas sûre que cela va se produire."
Et le RIP ?
Quand bien même le Conseil constitutionnel invaliderait le texte tout entier, ce ne serait pas forcément la mort de la réforme, rien n'empêcherait le gouvernement de relancer la machine, mais avec une procédure différente : "il faudrait passer par une loi ordinaire avec un processus législatif qui ne peut pas être accéléré, et qui, sauf exception, ne doit pas pouvoir donner lieu à un 49.3. Il faut repartir sur un autre projet de loi qui peut être proposé en ayant au moins théoriquement, exactement le même contenu. Très concrètement, cela supposerait de partir sur un texte, qui fasse davantage consensus ... mais encore faut-il trouver des interlocuteurs pour avancer sur un tel projet et là, c'est une question d'équilibre avec les organisations syndicales."
Les Sages devront aussi se prononcer sur le référendum d'initiative partagée, demandé par la gauche et par les syndicats. Mais même si le Conseil donne son feu vert au référendum, celui-ci n'aura rien d'automatique : la réforme en attendant ne serait pas forcément suspendue, et il n'y aurait aucune garantie de voir le processus de référendum aller jusqu'au bout.