Brest. Une campagne scientifique démarre dans l'Atlantique Nord
Publié : 4 juin 2023 à 21h49 - Modifié : 8 juin 2023 à 12h29 par Dolorès CHARLES
Deux navires quittent le port de Brest (29) pour participer à une campagne scientifique d'ampleur, dont le but est de comprendre le rôle de pompe biologique à carbone joué par l'océan. Les explications des responsables de la mission.
C'est une campagne scientifique sans précédent qui démarre dans l'Atlantique nord : le navire océanographique Thalassa vient de quitter le port de Brest (samedi 3 juin à 15h) et un deuxième navire, le Pourquoi Pas (photo) quittera à son tour le port finistérien mardi matin vers 8 heures (6 juin). Ils se rendront tous les deux au large de l'Irlande, pour une campagne de 40 jours. Objectif : mieux comprendre le rôle de pompe biologique à carbone joué par l'océan, et mieux connaître les organismes marins de l'océan profond.
"Les algues vont capter du CO2 pour faire de la photosynthèse et créer du carbone organique..."
Il s'agit de mieux cerner la façon dont les organismes vivants, tout particulièrement le plancton, stocke et déstocke le CO2 dans l'océan, comme l'explique Laurent Memery, directeur de recherche au CNRS, membre du laboratoire "Lemar", à l'Université de Bretagne Occidentale, et coresponsable de la mission : "ce sont des algues, des micro-algues qui vont capter du CO2 pour faire de la photosynthèse et créer du carbone organique. Cette matière organique sous forme de particules va chuter vers le fond de l'océan. Tant que ce carbone est sous forme de carbone organique, il est stocké, cela absorbe du CO2, et comme pour l'humus, il y a des activités bactériennes dans l'océan... qui fait que cette matière organique va être respirée, oxydée et se transformer de nouveau en CO2. L'enjeu, c'est de savoir à quelle profondeur ça se fait et plus cela se fait profond, et plus le carbone est stocké longtemps."
Que fait le carbone ?
Les 120 scientifiques qui participent à cette campagne vont tout mettre en œuvre pour percer certains grands mystères persistants, pour combler les espaces vides dans le calcul des transferts de CO2 à l'échelle globale. Lionel Guidi, chargé de recherche au laboratoire d'océanographie de Villefranche sur Mer, et coresponsable de la mission : "ce qu'on ne sait pas, c'est combien de carbone est consommé par les organismes dans la colonne d'eau, c'est à dire qu'on sait à peu près combien il en part de la surface, combien il en est utilisé au fond et quand on fait la balance, on devrait être à l'équilibre et il nous en manque au moins 50 %. On essaye de savoir où il part, comment il est utilisé ? Potentiellement, il part par l'utilisation des organismes dans le fond, qui peuvent avoir des besoins énergétiques qu'on sous estime ou qu'on surestime, parce que ce sont des organismes dont on connaît mal la biologie... et puis il peut partir aussi, transféré par différents mécanismes, dans la masse d'eau, aussi bien en horizontal qu'en vertical... et ce sont des mécanismes physiques qu'on a du mal à caractériser."
Un matériel embarqué inédit
Les deux navires embarquent un nombre inédit d'outils différents : un déploiement de moyens assez rare, à l'échelle mondiale selon Lionel Guidi. Il y a des "planeurs sous marins qu'on va lâcher depuis le bateau pour aller mesurer des paramètres physiques dans la colonne d'eau et biologiques en temps réel. Il va y avoir des flotteurs qui transmettent des données par satellite qu'on reçoit directement sur le bateau ou à terre. Il va y avoir de la pêche qui va être faite par différents types de chalut, puis on va voir de l'acoustique aussi pour suivre les migrations verticales du plancton qui remonte à la surface..."
"On va commencer à modifier, sinon détruire un écosystème, alors qu'on le connaît pas ou pas très bien..."
Cette campagne s'inscrit dans une série d'études menées en ce moment dans les différents océans du globe. Il y avait une certaine urgence à compléter les connaissances sur les grandes profondeurs, avance Laurent Memery : "lorsqu'on voit des velléités de certains d'avancer vers l'exploitation des ressources dans l'océan profond, que ce soit au niveau minéral ou au niveau des poissons : il y a ce qu'on appelle des myctophidés, qui vivent vers 1000 ou 2000 mètres... Le Japon ou d'autres pays commencent à envisager d'utiliser ces ressources pour les protéines et on va commencer à modifier, sinon détruire un écosystème, alors qu'on le connaît pas ou pas très bien. Il y a un enjeu très important de connaître un peu le fonctionnement de tout ça avant d'y mettre un peu "le bazar".
Une base de données extraordinaire
Cette campagne est baptisée "APERO" - c'est un acronyme anglais - mais cette mission pourrait marquer le début d'une nouvelle étape dans la recherche océanographique : "On va apprendre des choses. Pour moi, un des enjeux très importants de cette mission, c'est de léguer aux années futures une base de données extraordinaires, qui sera inégalable parce qu'on va de la physique à la biologie, à la biologie moléculaire, à l'écologie, à la chimie, etc... Enfin, on fait une couverture interdisciplinaire énorme et on a beaucoup travaillé sur la structure de la base de données, et ce qu'on va léguer... Les étudiants, les doctorants, les chercheurs pourront bosser là-dessus pendant des années..."
Le Thalassa et le Pourquoi pas ? seront de retour le 17 juillet. La mission mobilise 120 scientifiques d'une quinzaine de laboratoires français et étrangers. Cette campagne s'inscrit dans un vaste programme international de recherche pour mieux comprendre l'océan profond, à l'heure où les ressources naturelles des grands fonds attisent les convoitises.
Journée mondiale des océans, le 8 juin
Ce départ des deux navires intervient à la veille de la journée mondiale des océans, le 8 juin. Une journée qui aura pour thème cette année "Une vague de changement", et qui mettra notamment en avant le rôle de régulation climatique des océans, aujourd'hui menacé par le réchauffement planétaire.