Témoignage. Aux urgences de Saint-Brieuc, l'hiver s'annonce compliqué

Publié : 23 novembre 2023 à 7h22 - Modifié : 23 novembre 2023 à 7h27 par Yann LAUNAY

Centre hospitalier Yves Le Foll Saint Brieuc 2023
Centre hospitalier Yves Le Foll Saint Brieuc 2023
Crédit : Yann Launay

Partout dans l'ouest, les services d'urgences ferment la nuit sur une période, ou de façon pérenne. Un drame sanitaire pour les patients et les médecins souvent désemparés, face au manque de moyens. A Saint-Brieuc, plusieurs médecins ont décidé de quitter le centre hospitalier Yves Le Foll d'ici la fin d'année. Rencontre avec l'un des urgentistes le Dr Christian Brice.

Les démissions s'enchaînent, aux urgences de l'hôpital Yves Le Foll : cinq médecins ont décidé de quitter le centre hospitalier briochin. Tous seront partis d'ici la fin décembre. Des urgentistes qui ne supportent plus la pénibilité de leur travail, dans des conditions dégradées. Le Dr Christian Brice, lui, va rester, mais celui qui est aussi délégué régional de l'Association des médecins urgentistes de France, tire la sonnette d'alarme depuis des années sur les conditions de travail de son équipe, et l'urgentiste comprend parfaitement la décision des ses collègues.

"C'est dur de quitter un service où les gens s'entendent bien, et un beau métier !"

"Ce sont des amis, on se connaît depuis très longtemps, on bosse depuis longtemps ensemble. Ce sont des décisions venues pendant le covid, ou juste après : on voit qu'il n'y aura pas de bout de tunnel, on sait que ça va continuer comme ça et que ce sera encore un hiver de plus où il faudra serrer les dents pour s'occuper des patients qui restent sur des brancards. Mes collègues ne veulent plus vivre cela, et ils se décident après des mois de réflexions, parce que c'est dur de quitter un service où les gens s'entendent bien, et un beau métier. Je les félicite d'avoir franchi ce pas, je pense que c'est important de penser à soi, à un moment,  quand depuis quinze ans on pense aux patients et à tout sauf à sa famille."

Le Dr Christian Brice
Crédit : Yann Launay

"Ils (l'ARS) s'habituent tellement à la médiocrité qu'en fait ils regardent des chiffres et pas des patients."

Pour le Dr Brice, ces démissions résultent d'un manque de reconnaissance et d'un manque de moyens. Le service des urgences manque de lits, et les soignants sont débordés :"On travaille dans les couloirs avec les gens, devant nos ordinateurs, ils dorment devant nous ou gémissent toute la nuit sur des brancards en face : c'est insupportable quand on est soignant, chacun imagine aisément que travailler comme ça, ce n'est pas possible. Il faut absolument créer des lits, et que les médecins soient valorisés dans leur travail, ce qui n'est plus le cas actuellement...

On enchaîne tout un tas de réunions avec l'ARS (l'Agence régionale de santé, NDLR), et au final ils ne nous écoutent pas, ils nous disent "ça ne s'est pas si mal passé que ça", parce que dans la mesure où il n'y a pas beaucoup de morts, pour eux ça se passe plutôt bien. Ils s'habituent tellement à la médiocrité qu'en fait ils regardent des chiffres et pas des patients. Nous ce que l'on voit ce sont des gens, eux voient des chiffres et de l'argent. On n'est pas du tout sur la même longueur d'onde."

Le Dr Christian Brice
Crédit : Yann Launay

Toujours pas assez de respirateurs

Le Dr Brice déplore également la gestion actuelle des autorités de santé, qui finit par décourager les médecins, lassés notamment de devoir se battre pour du matériel, "par exemple, les respirateurs. On a beaucoup parlé des respirateurs pendant le covid, parce qu'il en manquait partout. Là on s'aperçoit qu'on a toujours pas de stocks de respirateurs ! Qu'est-ce qui se passe si ça recommence ? On ne demande pas au médecin quel est le meilleur appareil pour lui, combien il en veut, et à quelle date. On lui dit : on va vous en renouveler un quart parce que cette année vous n'aurez pas d'argent. Il faut toujours fonctionner dans le dégradé. On a des réanimateurs qui se retrouvent à travailler avec du matériel qui n'est pas adapté, et il n'y en aura pas assez."

Le Dr Christian Brice
Crédit : Yann Launay

Lannion, Guingamp, Pontivy...

L'hiver s'annonce à nouveau difficile, aux urgences de Saint-Brieuc. Le service est déjà nettement sous-dimensionné, alors que le flot de patient ne peut que grossir dans les semaines qui viennent, avance le Dr Brice, interrogé par Yann Launay :"maintenant, tous les soirs on a soit Lannion qui est fermé, soit Guingamp et Pontivy quasiment tous les soirs, Carhaix est maintenant fermé de façon définitive la nuit. Qu'est-ce qui va rester comme centre d'urgences ouvert ? Saint-Brieuc et à Saint-Brieuc on n'a pas le nombre de lits puisqu'il diminue encore, cela veut dire que les gens n'auront plus de soins la nuit, on aura des SMUR qui seront filtrés, puisqu'il y en aura un.

Si le service d'urgence est fermé et qu'il n'y a qu'un SMUR, autant dire qu'on va laisser des patients graves, on ne pourrait pas être sur tous les accidents de la voie publique en même temps, on a une vraie perte d'accès au soin urgent, et c'est ça qui est dramatique."

Le Dr Christian Brice
Crédit : Yann Launay

De son côté, la direction de l'hôpital Yves Le Foll reconnaît la pénibilité du travail et le manque de médecins, dans un contexte de recrutement particulièrement compliqué. Une aile supplémentaire doit être construite pour agrandir l'hôpital de Saint-Brieuc, mais elle ne sera pas opérationnelle avant 2027.