Pluies en Bretagne : "on est face à une situation de pénurie à l'échelle régionale"
Publié : 28 septembre 2022 à 18h54 - Modifié : 28 septembre 2022 à 18h59 par Dolorès CHARLES
Crédit : Yann Launay
Les pluies d'automne sont arrivées mais elles ne suffisent pas à alimenter nos rivières : le niveau est au plus bas, et les barrages continuent de se vider rapidement. Des restrictions plus larges devront certainement être mises en place : le point avec l'association Eau et Rivières de Bretagne.
Il y a urgence à faire des économies d'eau : si les pluies actuelles font illusion, elles restent largement insuffisantes, et en réalité la sécheresse s'aggrave, en Bretagne, à tel point que l'approvisionnement en eau potable est menacé, à court terme. Pour Nicolas Forray, hydrologue et membre de l'association Eau et rivières de Bretagne, "les barrages réservoirs qui stockent l'eau pour faire de l'eau potable en Bretagne ne se remplissent pas. Ils continuent même de baisser puisque nous continuons à consommer. La situation la plus préoccupante est dans les Côtes d'Armor où on dispose d'une visibilité à une trentaine de jours avec de gros efforts d'économie, et en sensibilisant au maximum les usagers on gagnera peut être 5 à 8 jours. Ensuite, il faudra aller chercher l'eau qui alimente ce secteur ailleurs... et là, on va progressivement coincer. Ce n'est pas qu'il y aura plus d'eau, mais il n'y aura pas assez d'eau et se poseront des questions techniques du genre réduire la pression dans les réseaux, voire faire des coupures de zones qu'on n'arrivera plus à desservir."
Les Côtes-d'Armor en alerte, mais toute la région est touchée
Le département des Côtes d'Armor vient de tirer la sonnette d'alarme et de reconnaître le niveau critique de ses réserves en eau. Mais pour Pauline Pennober, chargée de mission à Eau & Rivières, cela ne doit pas faire oublier que c'est bien la Bretagne toute entière qui se retrouve sous la menace de pénuries d'eau potable :
"C'est compliqué dans les Côtes d'Armor, mais on voit bien que c'est aussi compliqué en Ille et Vilaine avec Vitré et La Valière. On voit que le lac de Guerlédan se vide rapidement malgré tout. On voit que les barrages en Finistère se vident rapidement aussi. Aujourd'hui, on est vraiment face à une situation de pénurie à l'échelle régionale, et c'est pour ça qu'il faut vraiment prendre la mesure de cet enjeu. Comme on ne sait pas si la sécheresse se finira bientôt, mieux vaut prévenir que guérir et se retrouver en décembre avec des endroits où on n'aura plus d'eau potable."
Titre :Pauline Pennober
Crédit :Yann Launay
Il faut de la pluie, mais pas que
Il faut qu'il pleuve, et abondamment, dans les jours et les semaines qui viennent. Mais comme il est impossible de deviner quelle quantité de pluie arrosera la Bretagne, l'urgence est aux économies. Pour Eau & Rivières, il est temps de prendre les mesures de court terme que l'association appelle de ses vœux depuis des décennies, et ces mesures sont nombreuses, pour Pauline Pennober : "c'est par exemple mettre en place des programmes d'économie d'eau, mettre fin à la tarification dégressive de l'eau.
Aujourd'hui, les gros consommateurs paient moins che dans le monde, que les petits consommateurs. Qu'on mette en place des récupérateurs d'eau de pluie, il y a des dizaines de solutions aujourd'hui et elles sont toutes prêtes à être mises en place. Il y a des collectivités qui le font déjà avec succès. Il faut juste généraliser ça, rénover les réseaux aussi d'eau douce pour amener l'eau jusqu'à chez nous. Aujourd'hui, on perd entre 15 et 25 % de l'eau qui est produite et potabilisée sur le trajet jusqu'à notre maison !"
Crédit : Yann Launay
Titre : Pauline Pennober
Crédit :Yann Launay
La pollution vient aggraver les choses
Si la Bretagne est particulièrement menacée, et risque de manquer d'eau potable, c'est lié à sa géologie : le sous-sol, imperméable, stocke très peu d'eau, donc en période de sécheresse comme aujourd'hui, les eaux souterraines ne peuvent compenser. Mais pour Eau & Rivières, la pollution vient aussi aggraver les choses : "On est sur un territoire, où l'on prélève surtout notre eau dans nos rivières, à 75% et on est sur des eaux qui sont dégradées. Les nitrates, les pesticides, on connaît ça depuis longtemps en Bretagne, ce qui fait qu'on a dû fermer de très nombreux captages. Plus de 293 captages fermés depuis les années 90. Il y a une commune Saint-Mayeux, dans les Côtes d'Armor, qui a dû fermer un captage il y a quelques semaines à cause de la pollution... En fait, on se concentre sur quelques captages et le jour où ceux-là ont des défaillances, on n'a pas de solutions alternatives."
Titre :Pauline Pennober
Crédit :Yann Launay
Pourquoi ne pas dessaliniser l'eau ?
Mais si jamais le scénario du pire se réalisait, et que les barrages bretons se retrouvaient à sec dans quelques semaines, pourquoi ne pas dessaliniser l'eau de mer, comme sur l'île de Groix cet été ? Une fausse bonne idée pour Pauline Pennober, "cela coûte très cher et le processus coûte beaucoup d'énergie, mais en plus, la destination a des impacts sur les milieux aquatiques. C'est à dire que l'eau qui est très salée, qui reste après le processus de consolidation, est souvent rejetée dans le milieu naturel et vient faire des zones mortes. On a des endroits dans le monde trop salé..."
Une retenue d'eau est une solution, et un problème
Devant cette situation, certains demandent la création des nouvelles retenues d'eau, pour stocker un maximum d'eau de pluie pendant l'hiver, et pouvoir l'utiliser l'été. Pour Nicolas Forray, multiplier les retenues, c'est aussi multiplier les problèmes : "Quel volume, il faut pour pouvoir la remplir ? Être sûr de la remplir entre guillemets, tous les ans, neuf années sur dix. Il faut être sûr que la qualité de l'eau y soit bonne. Moi, j'ai connu une retenue ou l'eau avait de tels problèmes qu'on interdisait d'en faire de l'eau potable... La retenue est un impact, mais il fautbien l'évaluer. La vraie question, c'est plutôt consommons nous de l'eau de façon raisonnable ? D'abord, avant de créer la ressource, posons nous la question du bon usage de l'eau."
Titre :Nicolas Forray
Crédit :Yann Launay
Selon Eau & rivières de Bretagne, les données manquent pour mesurer précisément les effets des restrictions décidées par les préfectures ces derniers mois, mais les chiffres disponibles montreraient un impact finalement limité sur la consommation globale. L'association pointe le manque de lisibilité de ces mesures, qui n'ont cessé de changer, et qui varient parfois d'un secteur à l'autre à l'intérieur d'un même département.